Je Ne Viendrai Plus Chez Toi Que Par Hasard

Cher Total,

Sais-tu qu’un slogan publicitaire n’est vraiment qu’un gros étron sorti du cul poisseux de ceux à qui on attribue, un peu trop rapidement, une remarquable créativité ?

Non ? Tu ne savais pas ? Je vais t’en faire la démonstration :

Par le plus grand des hasards j’ai eu l’occasion à mon retour de vacances cet été, de visiter une des 5500 stations-service qui t’appartiennent sur le réseau routier de notre France bien-aimée.

Il est 7 h30 du matin ce dimanche 26 août, quand je déboule enfin sur l’autoroute A13 après un périple nocturne de 800 bornes et, seule conductrice, je commence à être sur les rotules. Mes deux nains de jardin à l’arrière viennent de se réveiller et manifestent leur impatience à déguster quelques madeleines et pains au chocolat. Moi-même, je commence à ressentir une douleur du pied droit, sur l’accélérateur non-stop depuis trois heures maintenant, jusqu’à ma hanche, menaçant de se déboiter au prochain arrêt. En plus, ma vessie manque d’exploser et je ne voudrais pas, telle Mamie lors du dernier Paris-Marseille, me répandre en fuites urinaires sur le skaï de la voiture. C’est pas beau de vieillir, tu me diras…

Aussi, c’est avec une joie incontrôlée que je sors à l’aire d’autoroute suivante, celle de Morainvilliers, Ile de France.

Je me gare devant la boutique en constatant avec surprise que le rideau de la devanture est fermé. Je regarde les horaires inscrits sur le devant et peux alors y lire que l’ouverture y est constante, 24h/24, 7j/7. À l’intérieur, quatre gugusses remplissent les rayonnages dans un rythme aussi soutenu que celui d’un Jamaïquain, fumant un bédo en écoutant Bob Marley.

Il est presque 8 h et j’en conclus que l’ouverture est imminente. Des Marocaines et leurs enfants sont en train de faire le pied de grue devant l’unique chiotte, extérieur à la station, tandis que leurs compagnons vérifient l’arrimage de leur galerie surchargée. Le vent est frais, et elles relèvent le col de leur veste. Je sors les sweets du coffre et je me dirige vers le comptoir de nuit tenu par un jeune,n vautré sur son siège, les bras croisés.

 

— Bonjour, à quelle heure ouvrez-vous s’il vous plait ?

— Entre 8 h et 9 h, Madame.

— Ah bon…C’est spécifique à aujourd’hui ?

— Non c’est tous les week-ends comme ça.

 

La réponse me laisse avec autant de voix que Carla Bruni chantant « quelqu’un m’a dit » sur la scène des Bouffes du Nord, en 2004.

J’imagine un instant les banques ou les hypermarchés proférant à la horde de clients agglutinés aux heures matinales : « bah écoutez, aujourd’hui on va ouvrir entre 9h et 10h, on verra, hein, c’est samedi après tout ».

 

— Et comment on fait si on veut déjeuner avec les enfants ?

— Bah vous me dites ici ce que vous voulez, et je vous les apporte.

— Ah oui, en effet, c’est pratique, je murmure. Et pour aller aux toilettes ?

— Ben, vous avez des toilettes extérieures sur le côté.

— J’ai vu, merci. Mais j’ai une enfant à changer, il me faut un espace bébé.

— Bah oui mais on est fermé pour le moment, me répond-il, mâchouillant son chewing-gum.

 

À l’intérieur, les quatre gugusses boivent tranquillement leur café au chaud tandis que l’unique distributeur de boissons extérieur est assiégé par les visiteurs aux traits tirés qui poursuivent ou finissent, dans le meilleur des cas, leur voyage nocturne. Une famille s’arrête juste devant la porte et va demander l’heure d’ouverture. Le jeune déblatère le même discours qu’avec moi .

Un couple de jeunes tourtereaux, bras dessus, bras dessous, fatigués par un long trajet s’interrogent devant le rideau maintenu baissé.

Ma fille s’impatiente, sa couche est pleine et il est temps de la changer. La colère me monte au nez. Alors que je me dirige à nouveau vers le comptoir nocturne, la porte s’ouvre sur le côté et un homme m’invite à rentrer avec ma fille. Il repousse les autres visiteurs qui s’étaient pressés en quelques instants, désirant se mettre à l’abri du vent.

— C’est juste pour vous, me dit-il à contrecœur.

Le « merci » qui me sort de la bouche n’est qu’une convenance. Je me dirige vers le fond de la boutique et c’est dans le noir que je vais changer ma fille, car personne ne daignera mettre en route la lumière.

Ma colère monte d’un cran, aiguisée par une nuit de tension au volant.

 

Cher Total, j’ai passé 20 ans à travailler pour le service aux clients, et dans ce domaine, je suis devenue très con. On pourrait me qualifier assez justement d’acariâtre, de mal-baisée comme on dit. Exigeante, à l’affût du moindre défaut, je suis tel un bouledogue aboyeur et baveux, un roquet agressif qui vous mordrait aux mollets à la moindre entorse aux règles de base du service commercial. Très désagréable…pouah !!

C’est donc avec de l'entrain que je me dirige vers la caisse après être sortie du gourbi dégueulasse du coin bébé, qui tout le monde le sait, ne requiert pas une hygiène absolue.

Je prends au passage mes madeleines et mes pains au chocolat et je paie au comptoir de nuit. Le jeune pivote alors sur son siège et me fait face, toujours vautré.

Tandis que je paie, je pose alors la question qui me taraude depuis que j’ai foutu un pied dans cette fichue station :

— Qui décide des heures d’ouverture chez vous ?

— La station ou le groupe. Mais je pense que c’est la station.

— Pouvez-vous m’expliquer pourquoi une aire d’autoroute qui est censée être ouverte 24h/24, 7j/7, ferme ses portes un week-end de retours de vacances d’autant plus…à proximité de Paris qui est quand même un axe central européen sur une autoroute…payante ?

 

Cher Total, la réponse de cet étudiant qui, après tout, ne fait que suivre les consignes de son responsable, est affligeante et m’a poussée aujourd’hui, je dois te l’avouer, à t’accorder cet instant d’expression sous la forme de ce billet dur.

— Eh bien c’est comme ça tous les week-ends car il n’y a pas beaucoup de monde, et en plus il y a les gens qui sortent de boite…et on est à proximité des Muraux*, alors pour la sécurité, on ferme…

Je souris. Je regarde par la grande baie vitrée juste derrière la caisse. Une centaine de personnes harponnent le bitume, certains cherchant les toilettes, d’autres, les bras croisés, surpris par le vent, tentent une approche vers le rideau baissé ; certains routiers prennent leur café et partent en maugréant ; une mère remonte sa fille dans la voiture, son mari lui jetant « on va pas les faire pisser dehors quand même »

 

Mais c’est quoi pour toi, 100 clients en l’espace d’une demi-heure, Total, hein ?

 

100 clients potentiels qui se gèlent devant ta porte fermée au petit matin ? 100 clients qui attendaient cette aire pour reprendre des forces, pas seulement pour ton carburant que tu stockes quand le pétrole est bas et que tu nous refourgues plein pot dans tes stations ? 100 clients qui paient tes paquets de Pépito 30 à 40% plus chers parce que, JUSTEMENT, tes stations sont ouvertes 24h/24, 7j/7 ? 100 clients qui vont quand même débourser leur pognon pour payer une autoroute qui a combien d’années d’existence, tu me rappelles, et qui attendent un minimum de services ?

Dans ta charte, tu annonces aussi fièrement que ton ambition, c’est, je cite : « Etre au top du service dans toutes les stations Total ». C’est bien les ambitions, ça fait une ligne de conduite sur le papier. À savoir que l’objectif, c’est d’avoir un « service convivial, personnalisé, et professionnel et rapide ».

Pour la convivialité, rien de tel que de manger ses madeleines avec ses deux gosses dans le froid matinal, adossée à la portière de sa bagnole, essaie, tu vas voir, c’est vachement sympa et chaleureux.

Pour la personnalisation, il ne faut pas que je me plaigne, j’ai eu le droit de rentrer.

 

« Une propreté irréprochable à l’intérieur et à l’extérieur des stations »

Un conseil : envoie ton prochain client mystère dans le chiottard extérieur de cette station, t’auras vraiment une vision honnête de la situation. Dis-lui au passage de nous ramener un rouleau de PQ qui ce jour-là faisait cruellement défaut. C’est pas comme s'il y avait eu des employés dans la station ! Ils n’auront sans doute pas eu le temps d’achalander le chiotte ni de le nettoyer d’ailleurs. Un seul cagoince pour les centaines de couillons nocturnes qui sont passés entre 22 h et 9 h, c’est amplement suffisant.

 

Alors, tu vas me dire que tu peux pas jouer la sécurité de tes hommes. Tu as raison. Moi, je propose que les banques ne distribuent plus d’argent au comptoir (d’ailleurs c’est déjà le cas pour certaines d’entre elles), que les hypermarchés ferment dans les zones difficiles, que les magasins n’ouvrent qu’à 14 h le samedi pour laisser décuver les salopards qui veulent foutre le bordel au petit matin. T’as pas d’autres solutions à nous proposer que la fermeture de tes stations ? Laissant ainsi la majorité de la population qui voyage, dans le froid ?

Les maîtres-chiens, tu connais ?

Quoi ?

Ça coûte cher ?

Tu veux nous faire rire, là ?

Ces 100 pauvres peigne-culs de clients, refoulés à la porte de ton bordel routier ce matin-là, vont contribuer quand même à tes 13000 millions d’euros de bénéfices que tu engranges chaque année sans être enquiquiné par le paiement d’impôt en France, car t’es vernis à ce sujet, mon cochon. Tu peux dire merci au BMC (bénéfice mondial consolidé) qui te permet d’échapper en grande partie à l’impôt sur les sociétés. Car même si tes comptes laissent paraître une charge à 10 millions, elle est payée hors de France, où le raffinage a lieu et est…déficitaire ! Ces 100 pauvres peignes-cul se feront donc avoir deux fois alors, car dis-toi bien ce que tu paies pas, il faut bien que quelqu’un le paie à un moment donné à notre sainte France.

Ce n’est pas en mettant un maître-chien dans quelques stations sensibles du pays, que tu vas frôler la faillite, mais tu vois, pour ça, il faudrait qu’il y ait chez toi un sens minimal de service aux clients, et c’est pas celui qui t’habite en priorité. Demande à tes actionnaires, ils t’expliqueront.

Alors, tu m’excuseras mais la prochaine fois, je ferais 40 bornes de plus pour aller chez Esso, et si je viens chez toi à nouveau un jour, ce sera alors sûrement par hasard, au contraire de ton slogan foireux.

Je ne t’embrasse pas. Tu sens le gaz, comme on dit…

 

*Mantes-la-Jolie, NDLR, pour ceux qui ne connaissent pas, Mantes, comme tant d’autres est un peu à la RP, ce qu’est le Bronx à NY

 

j'ai été sympa, j'ai passé sur tes caisses noires, la corruption dans laquelle tu t'engouffres dans certains pays, ta collaboration avec la junte militaire en Birmanie, ta relaxe dans l'affaire AZF...mais je mets là une video pour rire (jaune) un peu, tu n'en voudras pas... 

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